Manifold Garden – Le test sur PC

Catégories : Puzzle Game

Plateformes : PC via Epic Games Store, Apple Arcade ; Steam fin 2020 et PS4 à venir

PEGI : Tout public

Langues : Français et autres

Taille : 2,97 GB

Date de publication : 18/10/2019

  Développeur : William Chyr Studio

Éditeur : William Chyr Studio

Disponible en téléchargement

 

S’il y a bien une composante essentielle du marché du jeu vidéo qui fascine l’observateur extérieur, c’est l’entrain, l’excitation, l’impatience, bref la « hype » avec laquelle les studios entretiennent l’intérêt des joueurs pour leurs futurs titres. On constate avec Manifold Garden qu’il n’y a pas qu’une seule recette puisque William Chyr a agit de manière pour le moins originale mais très efficace : un devblog à disposition de tout lecteur où il explique les étapes franchies et les objectifs de développement depuis 2013… Forcément, quand on développe tout, tout seul ou presque, cela prend un peu plus de temps. La démarche est d’autant plus originale qu’elle s’affirme transparente, pour un jeu dont la définition est assez obscure. « Relativity » (son petit nom en phase de développement) n’est pas qu’un puzzle-game où le joueur est amené à résoudre des énigmes de plus en plus complexes au long de couloirs de plus en plus exigus : il stupéfie par un design très épuré et simpliste au départ, il oblige à la contemplation et à l’abandon des repères, et nous invite à un voyage artistique que seul le jeu vidéo sait, à ce jour, nous offrir. L’expérience Manifold Garden rappelle forcément les tableaux du maître néerlandais M.C. Escher, s’inspire clairement du grandiose d’Inception, mais aucune peinture, aucune photo, aucun film, aucune forme artistique autre que le jeu vidéo ne peut vous faire voyager dans l’infini comme le fait ce titre.

Je disais donc : M.C. Escher. Ça ne doit pas être pratique pour remonter les courses, cette affaire…

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Ce test comporte de légers spoilers de résolution d’énigme pour servir son propos.

La prise en main est immédiate : dès la première minute, on comprend le potentiel de Manifold Garden : la surface sur laquelle on se tient est colorée (six couleurs possibles pour autant de face d’un cube, en bleu, vert, jaune, rouge, violet, orange), mais la gravité est modifiable à souhait : si vous êtes sur une surface bleue et êtes devant un mur, non seulement le curseur de la souris vous affiche sa couleur, et une pression sur la touche espace vous permet de « quitter » la gravité bleue pour subir à présent cette de la surface visée.

Les énigmes de début de jeu permettent de donner une idée de l’agilité mentale qu’il faudra déployer : les boutons à activer, ainsi que les petits cubes à déplacer sont colorés comme la surface sur laquelle ils sont actifs, une petite flèche rappelant le sens de la gravité qu’ils subissent par ailleurs. Comme tout puzzle-game qui se respecte, on doit se tortiller les méninges pour découvrir comment apporter ce cube rouge sur l’interrupteur, en s’aidant de l’environnement. Pour corser le tout, il n’est pas possible de changer de surface avec un objet en main…

Ici, c’est très simple : on prend le cube rouge pour le déposer sur l’interrupteur qui ouvre la porte, nous permettant ainsi d’aller sur la surface jaune prendre le cube pour aller ouvrir la seconde porte.

Les mécaniques de base acquises, on plonge dans le dur, et littéralement : on se déplace de surface en surface, mais on ne « saute » pas. Donc, si vous êtes au bord du vide, vous n’avez pas d’autre choix que de vous jeter dans le vide, pour retomber exactement d’où vous venez… à moins de profiter de la chute pour vous diriger là où vous le vouliez au départ. L’idée est simple et en même temps géniale : plutôt que de cadrer son espace de jeu avec un mur invisible ou des obstacles infranchissables, ce qui serait incohérent, William Chyr use et abuse de la non-limite : sautez autant de fois que vous voulez de ce rebord, vous retomberez exactement au même endroit, dans le même décor. Visuellement, c’est une réussite totale, on trouve régulièrement des structures infinies dissimulées à l’intérieur de pièces qui sont minuscules vu de l’extérieur, comme l’illustre cette vidéo, qui ne manque pas de rappeler les pièges visuels d’Antichamber :

Et plus on avance, plus on est forcé par le jeu de sortir de nos habitudes : à peine avons-nous compris une mécanique enseignée par un puzzle que celle-ci semble désuète et inadaptée au puzzle suivant. Par exemple, une fois qu’on comprend comment se promener de murs en murs à l’intérieur d’une pièce, cette gymnastique n’a aucun intérêt dans le puzzle suivant où on devra volontairement sauter dans le vide pour attendre l’objectif. La mécanique clé = serrure se complexifie, des obstacles devront être désactivés pour circuler, ou au contraire activés pour permettre d’avancer dans la bonne direction. Comme la grande majorité des objets à activer ou à déplacer sont liés à au moins une force de gravité, il faut méthodiquement analyser l’environnement, les possibilités de mouvements, pour résoudre le casse-tête qui peut demander plusieurs minutes pour être appréhendé. L’espace étant potentiellement infini, les déplacements sont parfois très longs, ce qui est d’autant plus frustrant quand on comprend qu’on a oublié une étape ou un élément important et qu’il faut faire demi-tour pour tout recommencer ensuite…
La difficulté de résolution des puzzles va forcément crescendo, mais n’est pas aussi insurmontable qu’elle pourrait paraître aux premiers abords des énigmes. Tous les mondes à découvrir sont en fait reliés entre eux, et il faut une petite heure de jeu avant de comprendre l’objectif principal : ces mondes sont pollués par une substance noire, et il nous incombe de les connecter les uns les autres par des rayons de couleur que l’on débloque au fil des énigmes. Sacré travail en perspective, qui nous pousse à réfléchir, du début à la fin, à ne plus penser en trois dimensions « classiques ». Selon votre capacité à comprendre les mécaniques attendues, votre sens de la contemplation et votre volonté à avancer rapidement, le titre se boucle en six heures environ (quatre pour les plus habiles).

Croyez-moi que, sur un écran 27 pouces, ce genre de vision donne très vite le tournis…

Vous l’aurez compris, le studio a énormément misé sur le graphisme et l’aspect visuel démentiel de son titre. Les inspirations évidentes dans la géométrie (M.C. Escher dont vous pouvez admirer les œuvres ici), dans la manière de travailler perspectives, profondeurs et lignes de fuite comme l’a fait Christopher Nolan dans Inception, et l’émerveillement qui rappelle parfois des œuvres vidéoludiques comme Antichamber ou NaissanceE, ont du mal à cacher une sobriété graphique qui peut dérouter. On l’a vu plus haut, le titre est, au moins au départ, volontairement avare en couleurs puisque celles-ci sont des éléments de gameplay. Le parti-pris du développeur est tout simplement de miser sur le côté grandiose de ses créations plutôt que sur sa coloration, qui n’apporterait rien de plus au propos, voire qui apporterait davantage de confusion entre la volonté de décorer et celle de donner du sens au gameplay.

Le design est sobre, mais certains pourront dire qu’il est fade.

Si le rose terne contrebalance le bleu-nuit pour styliser quelque peu un noir et blanc auquel on était habitué dans Antichamber, la gestion des couleurs et des effets visuels est une réussite totale à mon sens. La résolution de groupes de puzzle donne lieu à des spectacles géniaux, comme ici :

On est certes loin d’un univers chiadé et chaud à la Talos Principle, mais comme dit plus haut, William Chyr apparait comme une personne qui assume ses partis-pris, et celui abordé sur la question des couleurs pourra ne pas plaire. C’est en prenant ce genre de risque que les créateurs se démarquent, et on ne peut qu’en féliciter ceux qui agissent ainsi. La fin du jeu (que je ne vous gâcherais pas !) est en ce sens très différente puisque les couleurs, intégrées autant au gameplay qu’au gamedesign, prennent de plus en plus de place à l’écran. Une réussite graphique absolue, que bien des films ont cherché à approcher (2001 L’Odyssée de l’Espace à son époque, Enter the Void plus récemment).
Les musiques d’ambiance sont aussi reposantes que la balade promet de l’être, chacune s’adapte parfaitement à la situation rencontrée, et accompagne le joueur dans le creux de son oreille sans être un poids à la concentration. Elle convient très bien au titre mais n’est pas inoubliable pour autant.

Non, il ne fait pas nuit. Il faut juste trouver le bon interrupteur…

Le titre présente quelques points qui pourront être vus comme des défauts : son esthétique sobre assumée de bout en bout, inversement proportionnelle à son sens de la démesure et de l’infiniment grand, tellement grand qu’il en devient frustrant de se déplacer sur de telles distances pour venir à bout d’un casse-tête. Le jeu présente toutefois un challenge supplémentaire aux amateurs de puzzle-games (j’en ai cité quelques-uns des plus approchants mais la liste est longue !), et toute la magie visuelle déployée est un plaisir rare. On perçoit la difficulté mais aussi le plaisir que les trente personnes derrières William Chyr ont eu à créer ce jeu. C’est un titre comme celui-ci qui donne envie de voir le jeu vidéo se développer pour ce qu’il doit être : un média totalement distinct de ce que propose le cinéma ou la photo, qui fait vivre au joueur/spectateur une expérience unique qui ne saurait être reproduite différemment (à l’instar de ce que proposait, à son niveau, Control sorti récemment). Si vous n’aimez pas les puzzle-games, si vous n’avez aucun intérêt pour l’architecture (aussi improbable soit-elle), ou que vous êtes sensible aux vertiges en tous genres, vous ne trouverez que peu d’intérêts à ce jeu. Si vous aimez ce genre d’expériences, si vous souhaitez soutenir les idées originales et résolument positives pour l’image du jeu vidéo, Manifold Garden (Le Jardin-Multiple en français) est fait pour vous.

Test réalisé par whackangel sur une version offerte par l’éditeur.

Merci à eux !

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