The Signifier (Director’s Cut) – Le test sur PC

The Signifier (Director’s Cut)

Nous avions le plaisir de découvrir, début septembre 2020, une session handsoff menée par M. David Fenner, le Directeur Créatif de Playmestudio à l’origine du développement du titre. Entre temps, la sortie de « The Signifier » courant octobre a laissé place à un petit vide, puisque la localisation du titre était tout simplement inexistante pour nos contrées éloignées du continent sud-américain. L’équipe de développement notait, au fil des retours (pourtant élogieux) de la presse et des joueurs que certains détails méritaient d’être peaufinés. Ils décidèrent donc de ne pas se reposer sur leurs lauriers et de travailler à une version « Director’s Cut », qui corrige les problèmes de localisation et de mapping clavier, mais également d’ajouter du contenu à l’enquête au cœur de leur création. Ce test n’a aucune vocation à comparer les deux versions, mais à parler de « The Signifier – Director’s Cut » en tant que titre unique. Accrochez vos ceintures !

Le contexte du développement de The Signifier explique aussi bien les raisons pour lesquelles le jeu montre quelques lacunes, que les raisons pour lesquelles le titre est brillant, voire unique au monde. Le projet démarre il y a huit ans, entre quelques amis qui veulent donner vie à leurs idées sur les questions liées à l’Intelligence Artificielle (AI), la robotique, l’éthique, comme bon nombre d’auteurs et d’artistes avaient pu le faire avant eux.
Parce qu’ils ont leurs engagements professionnels en parallèle, le projet est très long à aboutir, et certains choix sont faits : par exemple le fait de ne pas prioriser l’aspect graphique du jeu, visiblement très daté, pour accentuer davantage une démarche artistique qui fait sens, et à raconter une histoire qui englobe une véritable réflexion sur les thématiques qui leur sont chères, au point d’en créer une œuvre vidéoludique qui, pour la première fois de l’histoire du jeu vidéo, incite le joueur à dépasser la simple expérience de jeu pour participer à cette réflexion qui deviendra, à n’en pas douter, un impératif dans les prochaines années. Le cinéma, la littérature ont passé ce cap depuis bien longtemps, mais le jeu vidéo n’avait pas encore sauté le cap.
Nous avons entre les mains un véritable Objet Vidéoludique Non Identifié, par ailleurs fruit d’une équipe semi-professionnelle… à ces égards, le coup d’œil est largement mérité.

Le titre démarre sur un encart nous exposant le contexte de l’intrigue : science avancée, psychologie, technologie, politique… Un cocktail très instable !

Nous incarnons Frederick Russell (dont la voix est magnifiquement apportée par Richard Epcar, un habitué des jeux-vidéos), un chercheur aux compétences croisées entre la psychologie et l’AI. Russell a développé un scanner cérébral expérimental baptisé Dreamwalker, qui fonctionne en « lisant » les données collectées du cerveau collectées aussi rapidement que possible après un décès. Le scanner qui « lit » le cerveau va recréer une représentation digitale de son contenu, exploitable dans le Dreamwalker. Evidemment, plus on attend après le décès, moins le résultat du scanner sera précis et donc fiable.
Si cette technologie est encore controversée, Dreamwalker permet à son utilisateur de parcourir les souvenirs d’une personne, non seulement d’un point de vue « objectif », c’est-à-dire tels que les évènements se seraient produits d’un point de vue neutre, mais aussi d’un point de vue « subjectif », c’est-à-dire vécu avec les émotions et l’histoire de la personne, et les déformations potentielles que cela peut impliquer. Par exemple, un parent identifié comme « Maman » dans un souvenir objectif sera visible comme une cuillère géante dans le souvenir subjectif, parce que le cerveau associe la mère à quelque chose qui nous nourrit. C’est, il faut l’admettre, très logique sur le papier, mais très déroutant vu depuis le Dreamwalker !

Le titre est graphiquement daté : une fois passé cette première impression, on se laisse davantage porter par la patte artistique proposée par Playmestudio

Comme cette fameuse technologie est à la fois très surveillée par les autorités, mais très prometteuse d’un point de vue scientifique, Russell est embauché dans le cadre de l’enquête sur la mort de Johanna Kast, la vice-présidente de Go-AT, la plus puissante société technologique du moment (l’équivalent de Google, si on veut). Nous sommes donc invités à enquêter sur la mort mystérieuse de cette femme, en alternant des phases d’enquêtes entre la réalité (l’examen attentif de l’endroit où elle est morte), ses souvenirs objectifs du même endroit et enfin le plus intriguant, ses souvenirs subjectifs. On avance dans l’intrigue en résolvant des énigmes qui se présentent sous la forme de puzzles temporels et à replacer au bon endroit : un puzzle peut être à reconstruire dans un souvenir subjectif et à replacer correctement dans un souvenir objectif. On regrettera cependant que ces tableaux d’explorations soient au final très peu nombreux, ce qui rend l’enquête assez courte.

Lorsqu’il s’agit de nous faire voyager dans un rêve ou un souvenir, le titre met le paquet en inventivité et en mystères. Un régal, pour les amateurs du genre.

C’est à ce sujet qu’on trouve une des principales lacunes du titre : le gameplay est fortement réduit à un « Walking simulator » dans lequel il faudra observer attentivement l’environnement, cliquer sur les éléments cliquables mis en évidence par des icônes : un œil pour les éléments à voir, qui déclenchent un commentaire de la part de Russell, une main pour les éléments à prendre (généralement un élément à lire ou à manipuler), et une souris avec les boutons à utiliser pour résoudre un puzzle. On ne saurait faire plus simple, mais à mesure que l’on progresse dans l’aventure, il sera de plus en plus facile de passer à côté de certains indices. Les différents niveaux de difficulté du titre vont accentuer cet effet : plus on choisit la facilité, plus nous sommes aidés par Evee, l’AI du laboratoir qui pilote le Dreamwalker. Ce sentiment de déambuler dans un « Walking simulator » est renforcé par le nombre très limité d’interactions que nous avons avec d’autres humains, dans la réalité hors du Dreamwalker ; et un grand nombre de ces interactions ont lieu par téléphone plutôt qu’en face à face.
The Signifier refuse de se cantonner à une simple histoire constituée d’un seul arc narratif : un indice manqué, un choix particulier, peut avoir beaucoup de conséquences pour la suite de l’histoire, et donc sur la fin de l’enquête ; Playmestudio insiste d’ailleurs sur le fait que la version Director’s Cut accentue cette notion de l’importance des choix sur la suite de l’enquête. Si le procédé est désormais bien connu des joueurs, il reste agréable à intégrer dans la question du gameplay et de la rejouabilité du titre, surtout dans un univers aussi visuellement riche que celui-ci.

Voilà une scène qui transpire le malaise…

Transition toute trouvée : parlons du visuel et du graphisme, que certains verront comme l’autre lacune de The Signifier. La durée du développement peut être une raison derrière celles qui justifient l’utilisation d’une version d’Unity plutôt datée. Ce qui peut se comprendre d’un point de vue artistique dans la simulation, objective ou subjective, est plus délicate à appréhender dans la réalité de Frederick Russell. Néanmoins, en parallèle d’une physique passée (pour des raisons évidentes mais un peu regrettables), un vrai travail a été produit sur la gestion de la lumière, donnant l’aspect de tableaux à chaque image défilant sous nos yeux, dont les plus beaux auraient leurs places dans le musée du jeu vidéo. Il est cependant dommage de voir que ce côté graphique rouillé soit jumelé avec certaines mécaniques tout aussi maladroites : les déplacements de Russell sont lourds, certaines actions manquent de fluidité et l’ensemble casse l’immersion par ailleurs très forte.
Le travail graphique est à mis chemin entre osé et utile, dès que l’on se déplace dans les simulations produites par le Dreamwalker, même s’il reste encore une fois graphiquement daté. Osé, parce qu’il s’agit de manipulations physiques simples à réaliser dans un logiciel de traitement adapté, mais dont le rendu frappe dans le contexte onirique dans lequel il s’applique ; utile, parce que c’est simplicité sert la narration, l’enquête et la résolution de puzzle.
The Signifier semble vouloir autant nous faire réfléchir aux questions éthiques et psychologiques qu’il aborde que de nous proposer une lecture presque palpable de ce que façonne l’esprit humain et nos rêves. Evidemment, ce n’est qu’une interprétation parmi d’autre, mais un tel travail n’a, encore une fois, jamais été fait. On gardera en tête ce passage où on circule littéralement dans un souvenir se passant depuis l’appartement de Johanna jusque dans un club underground, en passant par différentes étapes : il n’y a plus de contraintes physiques, il n’y a plus de contraintes temporelles, et le rendu est, autant narrativement que vidéoludiquement, très novateur.

Qui peut prétendre et démontrer que les rêves ne sont pas ainsi faits ?

Même si Evee est très utile dans l’analyse des indices parsemés au fil des tableaux, le jeu refuse de nous aider en nous prenant par la main, ce qui peut parfois être assez déroutant : que l’on soit dans la réalité, dans un souvenir objectif ou dans le monde subjectif, ni rien ni personne ne nous dit que nous avons fait et vu tout ce qu’il y avait à voir et faire à l’endroit où nous sommes, ni à quel endroit nous rendre pour la suite. Une partie de l’enquête est évidemment basée sur la déduction de ces suites logiques, notamment le déplacement entre souvenir objectif et souvenir subjectif, mais il ne faudra pas hésiter à tâtonner pour découvrir la bonne marche à suivre.
On déplorera donc à The Signifier une physique ancienne, un temps de jeu assez court et un gameplay, lié à l’enquête, assez peu développé : dommage, quand le terreau de base était prometteur ! De l’autre côté, il ne faut pas bouder son plaisir, il ne faut pas refuser d’encourager une petite équipe qui s’est mis en tête de créer cette aventure sur leur temps libre, en apprenant sur le tas le maximum de choses pour donner vie aux foisonnantes idées sur les rêves, les souvenirs, les traumatismes qu’ils avaient en commun.

L’école, les petits camarades, la maîtresse… comment pourrait-il se passer quelque chose de mal ?

Avec une certaine rejouabilité, une réflexion unique sur les questions d’ordre éthiques quant à la responsabilité de l’homme dans l’avènement de l’intelligence artificielle et des batailles intellectuelles entre pouvoirs politiques et pouvoirs technologiques, une investigation qui nous plonge jusqu’aux tréfonds des souvenirs de la personne enquêtée, The Signifier pourra lasser certains joueurs en quête du nec-plus-ultra en matière graphique par exemple.

Ceux, au contraire, qui savent que les jeunes équipes de développement doivent être encouragées dans leurs premiers travaux, qui aiment les aventures hors du commun, qui cherchent les approches artistiques inusitées, ou qui apprécient les jeux courts plutôt que trop longs, seront ravis de l’expérience proposée par l’équipe de Playmestudio. Espérons que leur prochain titre sera à la hauteur.

 

Note : 7.5/10

 

Test réalisé par whackangel.

Merci aux équipes de RawFury et de Playmestudio pour la copie, et merci à M. David Fenner pour sa disponibilité et sa gentillesse !

 

Catégorie : Aventure, Enquête, Point’n’click
Plateforme : PC
Langues : Menus et sous-titrages en français.
Taille : 20 Go
Date de sortie : 22 avril 2021
Développeur : PlayMeStudio
Editeur : Raw Fury
Disponible sur Steam

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