The Signifier, la preview – Hands-off gamescom 2020
The Signifier
Cet article a été rédigé à la suite d’une session Hands Off réalisée au contrôle de M. David Fenner, le Directeur Créatif du studio Playmestudio situé à Santiago, capitale du lointain Chili. La session n’a pas permis une prise en main du jeu mais simplement un suivi de quelques séquences choisies par M. Fenner qui a très gentiment répondu aux questions posées en parallèle de la découverte.
Il y a des jeux qu’on attend plus à tel point qu’on les oublie, et il y a des jeux qu’on n’attendait pas, à tel point qu’on ne risque pas de les oublier de sitôt. The Signifier fait partie de ces derniers : il y a encore dix jours, je ne savais absolument rien de ce projet, commencé en dilettante il y a un peu plus de sept ans, par David et ses collègues, « pour le fun » d’inventer une histoire intéressante avec un visuel aussi novateur que possible. Pourtant, quand on me propose de passer une heure avec le Directeur Créatif d’un jeu, je regarde d’abord s’il y a des visuels disponibles sur YouTube pour me faire une première idée du titre.
Même pas une minute pour m’en mettre plein les yeux, et faire me poser plus de questions que de m’apporter des réponses. Il s’agit certes d’un trailer comme tous les jeux en font, mais cette courte minute suffit pour donner un avant-goût du potentiel artistique et narratif d’un jeu hors-norme, comme on en voit rarement… de plus en plus rarement, même.
Le visuel du titre allie sobriété, élégance et efficacité – au moins dans les phases « classiques »…
On incarne à la première personne Frederick Russel, chercheur dans deux domaines à priori distincts que sont l’Intelligence Artificielle et la Psychologie, qui a développé, dans un futur dystopique proche, un scanner cérébral baptisé Dreamwalker. Ce scanner permet d’explorer l’esprit des personnes dont les souvenirs ont été versés sur un disque, y compris les ressentis inconscients de la personne étudiée. Les morts ne font pas exceptions, et c’est à l’occasion du suicide de la vice-présidente d’une gigantesque corporation que la police incite Frederick à utiliser Dreamwalker pour enquêter sur les raisons l’ayant poussée au suicide – était-ce seulement un suicide ?
Si la première phase de gameplay ressemble à une enquête classique, avec ses petits puzzles et ses phases de dialogues, il faudra jongler entre « la réalité » tangible et le potentiel du Dreamwalker, à savoir explorer d’une part les souvenirs dits « objectifs » de la personne, mais également les ressentis « subjectifs » de son mental. En oscillant entre ces trois phases, en replaçant les différentes pièces des puzzles et en découvrant certains éléments bien cachés, on pourra avancer dans la résolution du mystère entourant la mort de cette femme et la société pour laquelle elle travaillait.
On devine un travail sur Unity, avec une patte graphique un peu datée – mais ne jugeons pas un livre à sa couverture !
David m’explique que l’idée du jeu a commencé il y a sept ans, et qu’avec ceux qui sont devenus ces collègues à Playmestudio, ils travaillaient d’abord par très petites couches sur ce qui allait devenir, plus tard, un vrai projet de jeu vidéo, tant leurs idées faisaient sens à mesure qu’ils couchaient sur papier, et sur code, leur vision de cette enquête mêlant tech-noir, dystopie, psychologie, une bonne dose de réflexion philosophique sur notre rapport à la machine et à la vie privée, avec un soupçon de tension horrifique sans tomber dans le gore. Un sacré cocktail ! C’est après avoir signé le contrat d’édition avec Raw Fury qu’ils ont décidé de basculer à plein temps pour la production complète du jeu.
Il me montre quelques petites séquences de souvenirs objectifs, et la manière dont les puzzles doivent être appréhendés : si le joueur ne veut pas y passer trop de temps voire s’en débarrasser, l’IA de Dreamwalker peut faciliter la tâche, David insistant sur l’idée que le joueur doit se faire son expérience comme il le désire. Déjà, ces souvenirs objectifs amènent, visuellement, un ressenti très fort qui m’a fait penser « on ne devrait pas être ici », comme si être capable de traverser les souvenirs de cette femme par le biais de Dreamwalker était le franchissement d’un tabou très puissant. Les bugs visuels, qui s’expliquent soit par la nécessité de l’enquête, soit par le fait que Dreamwalker ne fasse pas toujours correctement son travail, accentuent ce sentiment, et nous orientent dans notre enquête, nous forçant à observer attentivement le moindre détail, et à connecter les éléments les uns avec les autres.
Plusieurs choses ici ne vont pas, il va falloir faire le tour du propriétaire.
Enfin, deux séquences de souvenirs subjectifs, dont la retranscription par Dreamwalker d’un rêve (je n’ai pas saisi qui était le rêveur, ceci dit). Le ressenti précédemment exprimé est encore plus fort, avec cette fois l’effet d’un poids sur l’estomac : nous sommes désormais face à la traduction d’un sentiment subjectif, de l’effet du mental sur un être humain, par une intelligence artificielle et retranscrite dans une machine. C’est comme si les plans les plus audacieux de Christopher Nolan dans Inception faisaient un ménage-à-trois avec des tableaux de M.C. Escher et René Magritte et que leur passe-temps préféré serait de discuter de psychologie quantique (j’ai vérifié, ça existe). Je suis littéralement bluffé par la folie potentielle de ces idées visuelles, et par la volonté de Playmestudio d’ouvrir, par le jeu vidéo, des portes timidement entrouvertes par le cinéma. Idem dans ces séquences, il faut fouiller, triturer, comprendre la mécanique du puzzle, jouer avec l’espace et le temps (eh oui !) pour débloquer la problématique du lieu et avancer un peu plus dans l’enquête.
Bien sûr, cette heure de visite guidée ne répond pas à plein de questions mais offre une série de promesses que, je l’ai dit, on n’attend plus de la part des majors depuis très longtemps, à commencer par la plus bête, mais la plus difficile aussi : nous faire tomber de notre fauteuil. Je crois, malgré certains doutes liés au gameplay, à la jouabilité du titre ou au motion sickness, que le potentiel de The Signifier est énorme, ne serait-ce que par ce qu’il offre visuellement. Je ne parle pas ici du graphisme, qui est daté pour des raisons évidentes, mais bien du visuel, et des questions qu’il peut amener à poser aux joueurs dans ces domaines trop souvent délaissés du jeu vidéo que sont la psychologie ou l’éthique. Tout ça par une équipe d’une douzaine de personne : rien que pour le pari, je dis chapeau !
La phase de rêve, subjective donc, montrée par David. Les puzzles y sont encore plus tordus que le rendu visuel est majestueux et inquiétant.
Le rendez-vous est pris pour le jeudi 15 octobre, date officielle de sortie de The Signifier. Merci à David pour sa confiance et le temps consacré pour la session « hands off ».
whackangel